L'objectif de la Loi Florange en généralisant
le droit de vote double à toutes les sociétés françaises cotées était de
favoriser l'actionnariat à long terme, principe auquel nous sommes attachés
comme la plupart des investisseurs institutionnels. L'Etat l'a mis en place en
ne cachant pas qu'il souhaitait se désengager de certaines sociétés tout en
gardant le même poids en assemblée générale. Mais cette proposition qui paraît
à première vue une « bonne » idée se retrouve en réalité une
« mauvaise » du fait de son application à toutes les sociétés cotées.
Un seul exemple éclaire l'inadéquation de la
solution proposée (la généralisation des droits de vote double) pour pallier au
« court-termisme » des actionnaires : les deux principaux
actionnaires de la société Lafarge détiennent 47% des droits de vote de la
société Lafarge grâce à leurs droits de vote double... et, en s'engageant à
apporter leurs titres à la société Holcim, ils ont de fait obligé le management
de Lafarge à accepter la prise de contrôle par Holcim suite aux négociations
menées en 2014 et en 2015... Il y a fort à parier que cette opération ne
pourrait se réaliser dans les conditions demandées en 2015 par Holcim (plus de
fusions entre « égaux » et un CEO qui ne sera pas Bruno Lafont) si
ces deux actionnaires n'avaient pas disposé de droits de vote double...
Car le droit de vote double est d'abord et
avant tout un instrument de contrôle et permet à un petit groupe d'actionnaires
de disposer des votes nécessaires pour être majoritaire en assemblée générale
ou disposer d'un poids suffisant pour faire échouer toute opération qui ne leur
conviendrait pas.
A cet égard, la montée en puissance rapide de
Vincent Bolloré, Président de la société Vivendi, qui a aujourd'hui près de 12%
du capital de la société lui permettra, compte tenu du rejet par 49% des
actionnaires de la résolution que nous avions proposé pour rétablir les droits
de vote simple (comme le législateur le permet...), de disposer de près d'un
tiers des voix en assemblée générale compte tenu du quorum habituel chez
Vivendi. Il pourra de fait contrôler Vivendi sans lancer d'OPA et sans en payer
le prix en devenant au minimum majoritaire.
Le plus étonnant dans les échanges privés ou
publics que nous mêmes ou les investisseurs ont eu avec la société Vivendi est
la volonté par les dirigeants de la société de tout faire pour que les
actionnaires ne déposent pas de résolution ou ne votent pas telle ou telle
résolution externe non approuvée par le Conseil. Et cela vaut dans le cas de
Vivendi aussi bien pour la question des droits de vote double que pour le
montant du dividende que paiera la société à ses actionnaires... Le conseil est
pourtant censé représenter TOUS les actionnaires et pas seulement certains...
Nous avions déjà eu ce type de réaction avec
Vivendi il y a dix ans (en déposant une résolution pour supprimer la limitation
de droits de vote – qui avait eu plus de 66% de soutien) et plus récemment avec
la société TOTAL qui avait refusé l'inscription de notre dépôt de résolution
sur les risques associés aux sables bitumineux au Canada. Il est étonnant que
des sociétés faisant appel au marché refusent que leurs actionnaires déposent
des résolutions qui soient mises au vote et qu'elles considèrent que seul le
Conseil peut déposer des résolutions en assemblée générale. Nous nous
permettrons de rappeler qu'il est nécessaire de rassembler 0,5% du capital pour
déposer une résolution en France ce qui limite le dépôt de multiples
résolutions compte tenu des montants financiers en jeu.
Il est urgent que le législateur et le
régulateur rappellent aux sociétés cotées en France que le principe de la
démocratie actionnariale est de laisser toutes les voix s'exprimer en assemblée
générale sous forme de questions écrites, de questions orales ou de résolutions
pour que l'ensemble des actionnaires soient informés de ces débats et que, le
cas échéant, dans le cas d'une résolution qu'ils puissent se prononcer sur la
proposition. Il en est de la vivacité de la démocratie actionnariale.
Olivier de Guerre
PhiTrust Active Investors