L'impact de la loi Florange sur
les entreprises françaises est un enjeu très important et suscite de nombreux
débats entre entreprises, professionnels de la gestion et les investisseurs
institutionnels. La Loi Florange apporte en effet une novation juridique sur
deux droits fondamentaux des actionnaires :
- le Droit de Vote Double, toutes
les entreprises cotées en bénéficiant automatiquement dès la fin des Assemblées
Générales en 2016, celles qui le veulent pouvant faire voter par leurs
actionnaires un droit de vote simple dans les statuts (cela nécessite la
majorité qualifiée de 66% des présents ou représentés).
- La neutralité du Conseil
d'Administration en période d'OPA, les conseils ayant la faculté de prendre des
décisions « pour faire échouer une OPA » ; jusqu'alors le Conseil se
devait d'être neutre en période d'OPA pour respecter l'égalité entre tous les
actionnaires.
Ces deux dispositions modifient
profondément le droit des actionnaires en France en appliquant de façon
homogène ces mesures de façon à « protéger » les entreprises
françaises, comme il est aisé de le constater dans les débats à l'Assemblée
Nationale. Il semble par contre que le législateur n'ait pas considéré que la
nécessité d'inscrire au nominatif ses actions pour bénéficier du droit de vote
double excluait de facto tous les OPCVM et la plupart des fonds de pension pour
des raisons juridiques ou techniques connues de tous les professionnels... De
même, il semble ne pas avoir intégré dans sa réflexion que la France comme un
certain nombre de pays (sauf l'Allemagne) a signé une convention de réciprocité
qui permettra à une entreprise attaquée par une société française d'utiliser
les mêmes pratiques pour contrer l'OPA...
Au sein du CAC 40, vingt-deux entreprises
avaient déjà des droits de vote double, et nous avons écrit à ces sociétés pour
leur rappeler le principe « une action, une voix » et leur demander
de mettre en place des mécanismes permettant d'assurer l'égalité des
actionnaires. Il nous paraît en effet important s’il y a des droits de vote
double, que TOUS les actionnaires puissent en bénéficier pour ne pas risquer un
contrôle rampant qui ne le dit pas...
Pour les treize entreprises qui
n'avaient pas de droit de vote double, nous leur avons demandé simplement ce
qu'ils allaient faire et nous avons été très surpris que la plupart sont
attachés aux droits de vote simple. La société GDF SUEZ a récemment annoncé que
son Conseil proposerait une résolution pour garder les droits de vote simple,
résolution qui serait très probablement refusée l'Etat détenant 32% du capital
et s'étant prononcé pour les droits de vote double afin de pouvoir baisser sa
participation tout en gardant le même nombre de droits de vote... Il est probable par ailleurs que
l'introduction de droits de vote double remette en cause l'équilibre des
accords Renault/Nissan cette dernière ne détenant aucun droit de vote alors
qu'elle a 15% des actions... et l'Etat détenant aussi 15%, peut baisser sa
participation de moitié en gardant le même poids en droits de vote.
Pour certains, nous passons pour
des investisseurs irresponsables car les sociétés françaises cotées sont en
risque par manque de capitaux, et le droit de vote double serait un moyen de
les protéger. Mais dans le cas de Lafarge, l'actionnaire principal qui
bénéficie de droits de vote double a expliqué publiquement qu'il avait œuvré
pour le rapprochement avec Holcim, ce qui conduira à une absorption par une
société suisse: cela modifie la gouvernance, déplace le siège social... avec au
passage la disparition des investisseurs privés français qui ne pourront plus
détenir de titres Lafarge Holcim dans leur PEA...
Cela montre bien que le droit de
vote double est aussi un outil de contrôle, que chaque société a une histoire
différente, des actionnaires ayant des poids spécifiques et que sa généralisation
va gêner des sociétés qui vont voir certains de leurs actionnaires devenir plus
importants... Cela va probablement accélérer
la prise de contrôle par des investisseurs français ou étrangers et risque au
contraire de déstabiliser des équilibres fragiles par construction.
De la même façon, la question de
la neutralité du conseil risque d'amener à des choix par le conseil en cas
d'OPA que les actionnaires n'auraient pas obligatoirement acceptés : les
actionnaires de Vivendi auraient-ils validé la cession de 70% de
l'activité ?
Nos sociétés sont aujourd'hui
majoritairement détenues par des investisseurs étrangers. La meilleure
protection est la qualité de la stratégie et une gouvernance associant tous ces
actionnaires aux grandes décisions en Assemblée Générale. Le risque est grand
de voir certains d'entre eux alléger leur exposition en actions françaises
considérant que les dites sociétés ne répondent pas à leurs principes de
gouvernance et notamment « une action, une voix ».
Notre devoir d'investisseur
minoritaire est d'alerter l'ensemble des entreprises et des investisseurs sur
les risques associés à de telles modifications afin que chacun se prononce en
conscience par rapport à sa propre stratégie et à son actionnariat existant.
Nous sommes convaincus qu'en étant des investisseurs responsables, nous ne
faisons que notre rôle d'actionnaire et que c'est aux actionnaires de chaque
société (et non à l'Etat) de se prononcer au cas par cas en fonction de son
propre environnement. Il en va de la pérennité de nos entreprises qui ont
besoin de tous leurs actionnaires pour se donner les moyens de leur croissance.
Olivier de Guerre
PhiTrust Active Investors
olivier.deguerre@PhiTrust.com