Sur
le papier la question parait incongrue. Les premiers éléments communiqués
indiquent au contraire que le nouvel ensemble permettra des synergies (lisez
des réductions d'effectif) qui renforceront sa position concurrentielle. Dont
acte. Mais est-il pertinent que les deux premiers cimentiers mondiaux -et de
très loin- fusionnent simplement pour devenir le super leader de leur
profession ?
Est-il
pertinent pour un cimentier d'être le numéro 1 mondial alors même que ce
secteur impose une certaine "cohérence" entre concurrents compte tenu
de l'impossibilité actuelle de transporter loin la matière finie qu'est le
ciment ?
Est-il
pertinent pour une entreprise d’origine franco-belge (Lafarge est né de la
fusion avec l'entreprise belge Coppée) de réaliser un mariage "entre
égaux" qui la conduise à localiser son siège social en Suisse, en
attendant d’y déplacer son état major ?
Est-il
pertinent pour les salariés et les clients de Lafarge de voir leur groupe
doubler de taille ?
Profiteront-ils
de cette fusion ? Difficile au delà d’une certaine taille, de créer de
l’affectio societatis : les salariés se considèrent de plus en plus comme
des « numéros ». Et puis a-t-on jamais vu une méga fusion effectuée
dans leur intérêt comme dans celui des clients ?
Soyons
réalistes. Ce type d’opération nourrit d’abord l’Ego des dirigeants, la valeur
pour l’actionnaire et… incidemment le porte-monnaie des intermédiaires -banquiers
d’affaires, avocats, etc.- chargés de la mener à bien. Qu’on ne s’y trompe pas:
telle est son « utilité » première. Pour des sociétés au capital
dispersé, il s’agit aussi de se mettre définitivement à l’abri de tout
prédateur, compte tenu de leur taille. Nul doute que ces ambitions seront
satisfaites. Mais s’assurer une telle domination de son marché est-ce bien
raisonnable ? Les géants ont souvent des pieds d’argile.
Est
ce une raison suffisante pour créer un ensemble difficilement gérable ? Ne
faudrait il pas que les actionnaires demandent plus de détail sur l'intérêt
pour toutes les parties salariés, clients et plus précisément sur les détails
des commissions financières qui seront versées à tous les intermédiaires ou
banques à l'occasion de cette opération ?
L'Allemagne
a mis en place des conseils de surveillance ou les salariés ont une forte
représentation, ce qui a jusqu'à ce jour empêché de telles opérations
transfrontalières... La France quant à elle joue le jeu du marché et de
l'internationalisation quitte à voir les centres de décision de ses plus belles
entreprises quitter la France.
Et
que dirons nous à nos petits enfants si dans quelques années nos plus belles
entreprises ne seront plus françaises ?
Olivier de Guerre
Président de PhiTrust Active Investors